Nestor Massembo : 20 ans après le Megatransect
Il y a 20 ans s’achevait le Megatransect, une étude à grande échelle de la forêt du bassin du Congo, mettant au devant de la scène internationale cet écosystème riche et menacé. Parmi ceux qui ont pris part à cette expédition hors du commun, Nestor Massembo, un pisteur Ba Aka, est depuis resté fidèle à la conservation de la faune sauvage.
Nestor Massembo, en poste au Mbeli Baï, décembre 2020 ©F.Mehon/WCS
« Ne vous fiez pas aux cheveux gris » assure Nestor Massembo, « je le referais. Même à mon âge, je peux le refaire ». Faire le Megatransect n’était pourtant pas une mince affaire : entre septembre 1999 et décembre 2000, l’équipe réunie autour de l’écologiste Michael Fay a traversé, à pieds, 13 forêts d’Afrique Centrale, du Nord du Congo aux côtes du Gabon, parcourant plus de 2 000 kilomètres en 460 jours, dans des conditions extrêmement difficiles. L’expédition permit de réunir quantité de précieuses données sur ces écosystèmes méconnus, d’une biodiversité unique, mais aussi d’attirer une attention sans précédent sur ces forêts menacées, grâce à l’écho du Megatransect dans la presse et dans les milieux politiques.
Pour Nestor, l’aventure commença à Makao, à l’Est du Parc National de Nouabalé-Ndoki. Le Parc naquit en 1993 et établit sa base secondaire dans le village de Nestor. Aussitôt il se mit à travailler avec la WCS. « C’étaient les premiers boulots qui s’offraient à nous, et on a eu envie de mieux connaître les animaux, par curiosité » explique-t-il. Il devient alors pisteur et aide un biologiste, Stephen Blake, à étudier le comportement alimentaire des éléphants de forêt. Nestor se découvre aussitôt une vocation, et aujourd’hui encore, il travaille en tant que pisteur pour les études menées au Mbeli Baï, une clairière de forêt, dans le Parc, où viennent s’abreuver de nombreux mammifères. Il avoue volontiers : « toute ma vie je n’ai fait que ce boulot, toujours avec le même plaisir ». Désormais affecté à Mbeli Bai, Nestor assure notamment un travail de surveillance des animaux ©D.NZoulou/WCS Au sein de l’organisation, Nestor et ses pairs ont un rôle crucial. « On est nés ici, on a grandi ici, c’est notre monde » explique-t-il avec fierté, « si on s’est intéressé à nous, c’est parce qu’on connaît la forêt ». Sans lui et une dizaine d’autres Ba Aka devenus ses collègues et ses plus proches amis, rien n’aurait été possible dans cette forêt tropicale épaisse, où seuls des yeux experts peuvent remarquer les traces de passage d’un animal, ou apercevoir des singes à travers l’épaisse canopée.
Mais ce dont Nestor préfère parler, c’est du tournant de sa carrière, le Megatransect, une aventure hors du commun, malgré les difficultés : « on n’avait jamais marché sur une aussi grande distance, c’était dur, on n’avait jamais passé autant de temps en forêt, avec des sacs qui pesaient lourd ». Nestor, comme tous les pisteurs, portait plus de 30kg de matériel sur ses épaules, aidait à l’identification des végétaux consommés par les grands singes et les éléphants, et devait repérer de potentielles traces de passage d’autres humains.
Makao, septembre 1999, Michael Fay recrute les pisteurs qui l’accompagneront, dont Nestor (deuxième depuis la droite) ©National Geographic Nestor accompagna Michael Fay jusqu’à l’entrée du Gabon, parcourant la jungle pendant des mois. « Ça m’a permis de parcourir toute la forêt », se souvient-il, « et de découvrir beaucoup de choses ». Il dépasse alors toutes les frontières qu’il connaissait et s’aventure en terres inconnues. « On était tous heureux de découvrir le monde des autres » ajoute-t-il avec poésie. Au fur et à mesure de l’expédition, Nestor développe un engagement en faveur de la faune sauvage basé sur un constat pragmatique, mais irréversible : « on a vu tellement de choses, on ne pouvait pas aller acheter un fusil avec notre salaire. On a gagné l’argent de la conservation, on est devenus des conservateurs ».
Autour de lui, 4 de ses plus proches amis sont encore pisteurs, dont un qui travaille pour le projet d’étude des grands singes dans le Triangle de Goualougo, au Sud du Parc de Nouabalé-Ndoki. C’est là que travaillent aussi les deux fils de Nestor, faisant la fierté de leur père qui leur a transmis son savoir. « Sans nous, le travail ne se serait pas passé comme ça. C’est grâce à la connaissance de nos ancêtres. C’est grâce à ce que l’on a fait qu’il y a tout ça maintenant » conclut-il en montrant la base de Makao d’un geste ample. Aujourd’hui, la WCS, en partenariat avec l’Etat congolais et les communautés locales, continue activement à protéger et étudier la faune et la flore d’une des toutes dernières forêts primaires du bassin du Congo. Tout comme Nestor. Le trajet parcouru par l’équipe du Megatransect, au départ de la base du Parc National de Nouabalé-Ndoki, à Bomassa ©National Geographic