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Ce que nous apprend la saisie de 30 crocodiles nains du Congo

 

En octobre dernier, la relâche de 30 crocodiles nains du Congo, saisis à des braconniers dans la Réserve Communautaire du Lac Télé, est venue mettre en lumière un trafic bien particulier dans le bassin du Congo : celui d’une espèce endémique, mal connue, et vulnérable.

 

Tout juste relâché, ce crocodile a encore dans sa gueule les lianes qui le muselaient (B.Evans/WCS)

 

Les pattes et la gueule entravées par des lianes, entassés dans des sacs à l’arrière de deux motos, 30 crocodiles nains du Congo voyagent vers Impfondo, le chef-lieu de la Likouala, lorsqu’ils sont saisis par les écogardes de la Réserve Communautaire du Lac Télé. Les reptiles, qui peuvent passer des jours hors de l’eau, sans manger, sont acheminés vivants jusqu’aux marchés de Ouesso, Pokola ou Brazzaville, où ils sont vendus pour leur viande.

 

Et les crocodiles nains du Congo sont particulièrement faciles à chasser, du fait de leur taille. « On peut presque les ramasser » explique Ben Evans, directeur de la Réserve Communautaire du Lac Télé : « ils peuvent être appâtés en reproduisant le cri d’un juvénile, attrapés grâce à des pièges à hameçons, chassés de nuit en les éblouissant, ou bien dénichés directement dans leurs terriers. »

 

Au sein de la Réserve Communautaire du Lac Télé, où vivent près de 20 000 personnes, leur chasse est traditionnelle. « La saison sèche rend la chasse difficile, la saison des pluies rend la pêche difficile, mais on peut capturer des crocodiles à toutes les saisons » explique Ben Evans. Dans cette région inondable du Nord Congo, où agriculture et élevage sont difficiles, les crocodiles sont donc une source de nourriture et de protéines facile, et essentielle pour les communautés.

Les crocodiles, emmenés dans des zones peu habitées de la Réserve (B.Evans/WCS)

Mais face à la nécessité, ils sont aussi devenus une source de revenus pour certains chasseurs qui les vendent au plus offrant. « La principale raison de cette chasse, c’est le manque d’alternative » explique Bola Madzoke, responsable du volet écologique de la réserve, « le braconnage est plus fort à la veille de la rentrée scolaire par exemple. Ça permet d’acheter les fournitures scolaires, ça rapporte un peu d’argent pour résoudre les problèmes ».

 

Pour les trafiquants cependant, c’est un business lucratif : un crocodile acheté à 5 000 francs CFA à un chasseur de la réserve peut être revendu jusqu’à 60 000 francs CFA sur un marché d’une grande ville. Et du fait de l’augmentation de la population, la demande augmente, au point où une chasse dérégulée peut rapidement menacer l’espèce. Selon des données récoltées par la WCS, entre novembre 2018 et mars 2019, 3 257 crocodiles ont été exportés de la Réserve vers les grandes villes, pour une moyenne de 10 tonnes de viande par mois. À ce rythme, le crocodile nain du Congo survivra-t-il longtemps ?

« à la longue, il y aura pénurie »

Bola Madzoke

 

« Les chasseurs constatent qu’il faut aller plus loin : plus les années passent, plus les crocodiles se raréfient. Ils comprennent qu’à la longue il y aura pénurie » rapporte Bola Madzoke. La menace est palpable, comprise, mais pourtant difficile à chiffrer, faute d’études.

 

« Les écosystèmes d’eau douce sont parmi les plus menacés, et pourtant les moins représentés dans la recherche sur la biodiversité et dans les efforts de conservation » affirme une étude de 2019. Cette étude avance toutefois deux faits qui inquiètent : la mégafaune d’eau douce a disparu à hauteur de 88% entre 1970 et 2012, et les populations d’animaux d’eau douce ont tendance à disparaître deux fois plus rapidement encore que les animaux terrestres ou marins.

 

Un des crocodile saisi, la mâchoire entravée par des lianes (B.Evans/WCS)

 

« Parmi les espèces de crocodile qui ne bénéficient pas d’un programme de chasse durable, le crocodile nain du Congo est l’espèce la plus trafiquée au monde », renchérit Matthew Shirley, spécialiste Afrique Centrale des crocodiles au sein de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN).

 

Ce chercheur défend toutefois, tout comme la WCS, que la mise en place d’un programme de chasse durable du crocodile nain du Congo peut sauver l’espèce. Ce modèle a fait ses preuves face à la menace qui pèse sur la mégafaune d’eau douce. Ce système permet en effet de réguler la chasse des crocodiles, pour apporter plus de sécurité à l’espèce en maîtrisant le nombre d’individus prélevés, et assurer des sources de revenus long-terme pour les communautés.

 

Conscients que l’espèce se raréfie et qu’ils en tirent des bénéfices négligeables, les chasseurs de la Réserve sont prêts à collaborer avec la WCS pour penser un modèle de chasse durable des crocodiles nains qui répond à leurs besoins. Pour appuyer ce modèle, la WCS mène un dialogue avec les communautés, et a entrepris un inventaire de la population de crocodiles nains du Congo.

 

Et bientôt, grâce à une meilleure connaissance de cette espèce et de la menace qui pèse sur elle, une chasse durable du crocodile nain du Congo pourrait permettre, comme le formule Matthew Shirley : « que tout le monde puisse tirer plus de profit du commerce des crocodiles, tout en prenant moins de risques, y compris pour les crocodiles ».

 

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