Vue du ciel, la forêt du nord du Congo s’apparente à un vaste tapis vert, strié de traces laissées par les chutes d’arbres et les ruisseaux. A cette époque de l’année, si vous plongez sous la canopée, un monde bizarre s’offre à vous, où la forêt se reflète dans les eaux noires comme sur un miroir. Dans les forêts du nord-est du Congo, les pluies tombent sur de profondes couches de tourbe situées dans une zone déprimée – la cuvette congolaise. Pendant plusieurs mois, les rivières montent et les eaux noires et tourbeuses s’infiltrent sous la dense canopée forestière jusqu’à la saison sèche, lorsque l’eau se retire.

Cette montée annuelle des eaux est un élément clé du cycle de vie de l’écosystème. Les poissons migrent hors des canaux des rivières vers les profondeurs de la forêt pour se reproduire, assurant ainsi la subsistance à long terme de la plupart des habitants de la réserve. Ces changements prévisibles offrent également aux populations une fenêtre stable pour planter des cultures, poser des filets et récolter des matériaux de construction. Bien que les données manquent pour l’affirmer, ce cycle jouerait un rôle clé dans la fructification des arbres des forêts marécageuses, sources importantes de nourriture pour un large éventail d’animaux sauvages, y compris la population dense de gorilles que l’on trouve dans ces forêts inondées.

Cette année, cependant, les pluies ne se sont pas arrêtées à temps et le niveau d’eau n’a cessé d’augmenter. Les champs de manioc, situés sur les rares zones surélevées, ont progressivement succombé à cette marée montante. Pendant des semaines, la population a dû assurer des heures de travail supplémentaires pour sauver les récoltes et s’assurer une source de nourriture.

Chaque jour, l’eau s’étendait de plus en plus loin à l’intérieur des terres. Loin du torrent déchaîné ou de la crue soudaine, elle se mouvait lentement mais sûrement, imperceptible mais imparable. Il a fallu s’adapter. Quand le niveau a dépassé la hauteur des genoux, les villageois n’ont eu d’autres choix que d’abandonner leurs bottes en caoutchouc pour passer à un service de taxi aquatique faisant la navette entre les maisons et les bureaux en pirogues ou kayaks. Au plus fort des inondations, celles-ci ont provoqué une crise sociale et humanitaire, inondant des villages entiers et déplaçant environ 50 000 personnes de leurs foyers, entraînant des risques de maladie, de malnutrition et des difficultés d’accès aux services sociaux.

La faune a elle aussi dû s’adapter et a commencé à empiéter sur les espaces humains.  La nuit, les lampes torches révélaient des poissons-chats et des cichlidés nageant autour du porche à l’entrée de la base. Les Ombrettes Africaines, pataugeaient dans le jardin en ramassant des insectes, tandis que les fourmis s’activaient à la recherche d’endroits secs pour reconstruire leurs nids. Les insectes fuyaient les eaux montantes ; de grosses fourmis noires construisent leur nid dans la douche, entraînant une agitation d’antenne en furie chaque fois que nous voulions l’utiliser. Les serpents s’enroulaient dans les fissures des murs, nous réservant des surprises au petit matin.

Ces événements sont connus dans la région – ils arriveraient environ une fois tous les dix ans, selon les villageois. “Mais cette fois-ci c’est différent”, disent-ils, cela semble s’inscrire dans un changement plus permanent du climat. Partout sur le continent, les inondations ont dévasté de vastes zones, affectant gravement les moyens de subsistance et les écosystèmes. La sécurité des moyens de subsistance des populations repose sur la prévisibilité et la diversité, les familles ayant tendance à répartir les risques sur différentes activités afin de s’assurer que si l’une d’entre elles échoue,  une autre assure leur subsistance.

Une telle imprévisibilité pourrait bien infliger des impacts imprévus sur la faune et les systèmes naturels. Les populations utilisent souvent les ressources naturelles comme source d’argent rapide en cas de maladie ou d’urgence familiale. Comme les phénomènes météorologiques extrêmes sont de plus en plus réguliers, les familles peuvent avoir besoin de faire appel à ces sources plus fréquemment ou, dans le pire des cas, ne pas pouvoir le faire si l’écosystème n’est plus un fournisseur fiable des ressources nécessaires.

Les pêcheurs à qui j’ai parlé ont remarqué que leurs prises se sont améliorées, apparaissant plus tôt dans la saison que d’habitude. À court terme, les conséquences de l’inondation pourraient leur apporter un certain dividende. Mais les surprises s’accumulant, les prises pourraient disparaître, éclipsées par des saisons perturbées et avec elles de nouvelles règles que les poissons, les forêts et les pêcheurs ont de plus en plus de mal à suivre.

Le réchauffement des eaux de l’océan Indien a entraîné une augmentation des précipitations partout dans le monde, de la République centrafricaine au Tchad en passant par le Kenya. Ces épisodes de crues extrêmes, ainsi que les années de « sécheresse » comme l’an dernier, pourraient devenir de plus en plus fréquents à mesure que le changement climatique s’accentuent. 

Pour aider les 20 000 personnes qui vivent dans la réserve communautaire du Lac Télé à s’adapter à ces changements imprévisibles, WCS Congo met en place des programmes environnementaux durables qui permettront de sauvegarder cette zone cruciale, tout en améliorant les moyens de subsistance des communautés isolées de la réserve. Soutenir le développement d’un plan de gestion durable des pêches a été l’une des priorités de WCS, en aidant les pêcheurs femmes et hommes à établir une gouvernance locale des activités de pêche. S’il n’est pas possible de prévoir le changement climatique, il est en notre pouvoir d’apprendre à nous adapter en conséquence. En savoir plus sur les activités de WCS dans la réserve communautaire du Lac Télé.