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“Les femmes congolaises pensent qu’elles n’appartiennent pas à la forêt. C’est faux !”


Pour une raison qu’elle ne peut s’expliquer, Esther a toujours rêvé de travailler dans la forêt. Malgré la prédominance masculine dans ce domaine, elle s’est fait une place pour devenir assistante de recherche au coeur du Parc National de Nouabalé-Ndoki, et a montré que la recherche est ouverte à tous et à toutes.

Esther, observant un groupe de gorilles qui se nourrissent de fruits dans la canopée © S.Ramsay/WCS

« Je ne sais pas pourquoi, j’ai toujours voulu être en forêt » explique Esther Nkoussou d’un haussement d’épaules, tout en s’apprétant à aller traquer des gorilles, au cœur de la forêt du bassin du Congo.

Depuis un an à présent, Esther travaille en tant qu’assistante de recherche à Mondika. Elle observe et enregistre des données concernant le comportement de gorilles habitués, à longueur de journée. « Honnêtement, je dois avouer que ce n’est pas facile, mais si tu sais ce que tu veux, ça fonctionne », rajoute-t-elle en souriant. « Après trois semaines, je me suis adaptée ».

Mondika est un site de recherche situé en périphérie du Parc National de Nouabalé- Ndoki, au Nord de la République du Congo. La Wildlife Conservation Society (WCS) gère ce site en collaboration avec le gouvernement, à travers un innovant Partenariat Public-Privé (PPP) lui déléguant la gestion de cette Aire Protégée. Mondika étant un site important pour le développement du tourisme, ce site bénéficie du généreux soutien de l’Agence des États-Unis pour le Développement International (USAID).

Esther est la première assistante de recherche congolaise depuis plus de 15 ans à travailler à Mondika, un site créé en 1995 par Dr Diane Doran-Sheehy, et où le leadership féminin est presque une tradition. La précédente manager du site, Alice Zambarda, a joué un rôle important dans la rapide adaptation d’Esther. « Je considérais Alice comme mon mentor, qui m’a montré comment me comporter, on a travaillé sur le terrain, elle m’a donné du courage.

Le groupe de Metetele a été habitué à la presence d’humains, ce qui permet de les observer quotidiennement. © S.Ramsay/WCS

L’histoire d’Esther et la forêt remonte aussi aux années 1990, lorsque, adolescente, elle avait aperçu la forêt du Mayomb pour la première fois : « je voyais la forêt depuis le train, en passant. Je n’avais pas vraiment d’idée mais je voulais savoir ce qu’il y avait dedans. »

C’est cette curiosité insatiable et inexplicable pour la forêt qui l’a amené là où elle est. « Je me souviens de la première fois où je suis allé dans une forêt, c’était à Brazzaville, à la Patte-d’oie [une forêt urbaine artificielle d’acacia]. Ça m’a donné une première idée, et je me suis dit wouaw ».

« Les femmes généralement aiment bien le secrétariat, être au bureau. Moi je voulais travailler en forêt, voir où ça va m’amener », raconte Esther. « Certains trouvaient ça cool, parce que parce que peu de femmes font ça. D’autres doutaient de moi. Ça m’a encore plus motivé. »

Lorsqu’elle doit travailler dans un environnement masculin, Esther hausse les épaules à nouveau : « je travaille avec beaucoup d’hommes, comme toujours, comme pendant mes études. Le milieu masculin, j’ai l’habitude. » Pour elle, « le plus important c’est d’être bien accueilli, ne pas sentir de différence, que tu soirs femme ou homme. Le respect et l’estime réciproque ne s’obtient qu’en renonçant aux préjugés. »

Les données sont recueillies sur une tablette, en respectant une distance de sécurité, tout en portant un masque chirurgical pour éviter la transmission de maladies aux primates © S.Ramsay/WCS

Quatre jours sur cinq, Esther est sur le terrain, arpente la jungle, à la recherche de gorilles des plaines de l’Ouest, pour enregistrer minutieusement tous les aspects de la vie du groupe. Chaque vocalisation, interaction, mouvement, est un ajout précieux à une base de données vieille de plus de 20 ans qui aide à mieux comprendre l’espèce la moins étudiée de tous les primates, en danger critique d’extinction.

« Dans la forêt, il y a quelque chose d’exceptionnel, que je n’arrive pas à comprendre. Une certaine alchimie, qui m’attire » explique-t-elle, à court de mots pour décrire sa fascination de toujours. Pourtant « pour les femmes, la forêt est quelque chose dont il faut avoir peur », déplore-t-elle.

Pour Esther, ce n’est qu’une question de manque d’information, et d’idées préconçues. « Les gens ont une conception erronnée des métiers de la forêt » clame-t-elle, « Le travail d’assistant de recherche ne pose pas plus de problème à une femme ou à homme. Tout le monde n’est pas fait pour la forêt, où les conditions de vies sont assez basiques, mais Esther ne pense pas que c’est une question de genre.

La collecte de données est nécessaire pour une meilleure compréhension des gorilles, donc pour une protection plus efficace de cette espèce menacée © S.Ramsay/WCS

« On doit encourager les femmes à postuler davantage. Les femmes doivent prétendre aux mêmes postes que les hommes » rajoute Esther. Elle espère pouvoir servir d’exemple en continuant sa carrière en forêt. « Je ne peux pas dire que je veux rester assistante, il faut que j’avance pas à pas. J’aimerais suivre une nouvelle formation d’ici cinq ans, pour continuer à progresser. »

Sa seule condition est la même depuis l’adolescence : « être en forêt, et rester au Congo ! »

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